Il existe bien un transfert d’aluminium vers la nourriture lors de la cuisson. Il est conseillé de limiter l’apport d’aluminium dans son alimentation. Mais il n’existe pas d’alerte sanitaire ni de données épidémiologiques sur l’exposition à l’aluminium par l’alimentation.
Les poissons en papillotes, le camembert dans le barbecue : l’aluminium est parfois utilisé en cuisine durant la cuisson. Une pratique dangereuse selon un site de santé qui n’hésite pas à titrer «Les médecins lancent un avertissement: si vous utilisez du papier d’aluminium, arrêtez ou faites face à des conséquences mortelles». L’aluminium serait en vrac responsable de la maladie d’Alzheimer, s’accumulerait dans les os, voire provoquerait des fibroses pulmonaires. L’ensemble est très alarmiste par rapport à l’état des connaissances sur le sujet.
Cet article se base sur une étude scientifique qui calcule la quantité d’aluminium passant dans la nourriture lors de la cuisson intitulée «Risk Assessment of Using Aluminum Foil in Food Preparation» parue dans le International Journal of Electrochemical science. Un article, et un journal, jugés comme peu fiables par les scientifiques interrogés par Check News. «Il n’apparaît notamment pas dans PubMed, la base de données de référence des articles scientifiques», explique Cécile Vignal, maître de conférences à l’Université de Lille. De plus cet article est écrit par des chimistes et non «des médecins».
Cependant, le phénomène dont parle l’article est «démontré depuis longtemps». Oui de l’aluminium passe depuis la feuille d’aluminium vers la nourriture pendant la cuisson. Il s’agit d’un des modes connus d’exposition à l’aluminium parmi d’autres (l’aluminium est aussi présent dans beaucoup d’aliments). Est-ce dangereux?
Aujourd’hui, rien ne permet de dire que l’aluminium qui passe par la papillote soit sous une forme plus toxique que les additifs alimentaires ou l’aluminium naturellement contenu dans les aliments. En revanche, l’exposition globale (quelles que soient et sa forme) à l’aluminium peut être dangereuse au-delà de certains seuils, et elle est l’objet de plusieurs études.
Les premiers cas d’intoxications aiguës à l’aluminium ont été des patients dialysés dans les années 1970. L’eau servant à la dialyse étant chargée en aluminium (à l’époque, maintenant elle est filtrée), ils ont été exposés régulièrement à de fortes doses d’aluminium directement dans le sang. Les pathologies rencontrées étaient principalement : «un syndrome neurologique, une atteinte osseuse et une anémie microcytaire».
La prise d’aluminium par voie alimentaire est-elle problématique? Le sujet n’est pas le même car les doses et le mode d’exposition sont très différents. L’autorité européenne pour la sécurité alimentaire s’est penchée sur le sujet en 2008.
Les experts de l’EFSA concluent que «certains composés contenant de l’aluminium peuvent s’avérer neurotoxiques (chez le rat et la souris), affecter l’appareil reproducteur mâle (chez le chien), […] être toxique pour l’embryon (chez la souris)». Ils ont fixé l’apport tolérable hebdomadaire d’aluminium dans la nourriture à 1 mg /kilo en poids corporel par semaine (soit 70 mg par semaine pour un adulte de 70 kg). L’EFSA précise que les études de 2008 ne permettaient pas de mesurer l’apport relatif de chaque source potentielle (aluminium dans les aliments, transfert des ustensiles de cuisine, additifs alimentaires, etc.).
En France, l’Anses mène une «enquête alimentation totale» portant sur la recherche de 445 substances d’intérêt dans un échantillon de 20 000 produits alimentaires représentant 212 types d’aliments. Les principales sources d’aluminium sont les légumes, le lait et les compotes pour les nourrissons et les produits céréaliers et les légumes pour les adultes.
L’exposition moyenne de la population française (0,28 mg/kg poids corporel /semaine chez l’adulte et 0,42 mg/kg poids corporel/semaine chez l’enfant) est inférieure à la dose hebdomadaire tolérable fixée par l’EFSA mais on constate des dépassements dans 0,2% des cas chez les adultes et 1,6% chez les enfants (de 3 à 17 ans).
Concernant la toxicité, l’Anses explique :
Les effets cliniques avérés de l’aluminium ont toujours été observés dans des situations de fortes expositions chroniques : patients insuffisants rénaux dialysés, alimentation parentérale, personnes professionnellement exposées. Chez les travailleurs la toxicité se manifeste principalement aux niveaux pulmonaire et nerveux.
Mais à l’heure actuelle, aucune étude n’a mis en évidence de tels effets dans la population générale, exposée à travers l’alimentation courante ou les produits de santé.»
La recherche se poursuit sur le sujet. Les travaux de Cécile Vignal, par exemple, l’amènent à s’intéresser à l’accumulation d’aluminium dans les intestins. «On sait que l’aluminium est assez peu absorbé par la paroi intestinale mais cela ne signifie pas qu’il est évacué pour autant. Il pourrait rester sur place et avoir des effets toxiques». Par ailleurs, une approche plus fine sur les différentes formes de l’aluminium et leur prise en charge par le corps humain reste souhaitable.
En attendant, et pour revenir au sujet brûlant des poissons papillotes, l’EFSA affirme qu‘«en présence d’acides et de sels, l’utilisation de poêles, de bols et de feuilles en aluminium avec des produits comme la compote de pomme, la rhubarbe, la tomate ou le hareng peut augmenter la concentration d’aluminium dans la nourriture». Une pratique à limiter donc, pour éviter la surexposition.
Source : article par par Olivier MONOD, « Libération » publié le 2 octobre 2018